Retrouvez le grand entretien du dimanche de Marie-Ange Debon, publié le 3 novembre dans Ouest-France

Le groupe de transport observe de près les effets du climat sur les infrastructures de transport. Pour sa patronne, il faut anticiper, ce ne sont plus des accidents.

Marie-Ange Debon préside le directoire du groupe Keolis depuis 2020. Conséquences du changement climatique sur les infrastructures de transport, évolution des transports publics, sécurité… Rencontre avec la patronne de Keolis.

Quelles leçons tirer de ce qui vient de se passer à Valence ?

La question de la résilience des infrastructures face aux événements extrêmes est un sujet d’une brûlante actualité. Tous les opérateurs d’infrastructures doivent se préparer à la multiplication d’événements climatiques de forte intensité. À Dubaï (Émirats arabes unis), nous avons eu jusqu’à 2 m de pluie dans certains endroits au mois d’avril. Imaginez, il y avait de l’eau au niveau des portillons dans le métro. Et pourtant, nous avons su le faire fonctionner à nouveau en quelques jours. De tels événements nous apprennent à mieux anticiper. Aucune prévision météo n’annonçait un tel niveau d’eau.

De l’extrême sécheresse aux inondations. Comment s’y préparer, avez-vous un plan climat ?

Nous avons d’abord réalisé l’an dernier une étude d’adaptation sur 1 000 de nos sites dans onze pays (dépôts de bus, rails). En Australie, où nous sommes présents, se pose la question des températures extrêmes avec leurs conséquences sur le personnel, les clients et le matériel. Au Texas où en Arizona aux États-Unis, le thermomètre peut monter jusqu’à 40°C. Nous travaillons avec nos clients, car les infrastructures et les équipements que nous exploitons ne nous appartiennent pas toujours. La métropole de Rennes (Ille-et-Vilaine), par exemple, est très active sur ces questions et s’appuie sur des indicateurs très poussés pour établir les plans d’action.

Est-ce que la qualité environnementale est désormais intégrée dans les appels d’offres ?

Beaucoup de nos clients intègrent désormais les actions en faveur du climat dans leur grille de notation. Le prix n’est plus le seul critère dans les appels d’offres. D’autres critères comme le climat sont effectivement pris en compte et, d’une manière générale, les enjeux environnementaux, sociaux et sociétaux.

C’est-à-dire ?

Par exemple, la politique de recyclage des déchets dangereux et celle du recyclage de l’eau, avec le nettoyage de tout le matériel roulant (bus, tramways, métros) sont prises en compte. Keolis a ainsi développé un partenariat avec une entreprise qui permet de nettoyer nos bus, sans avoir besoin de les rincer. Ce produit, Ecowash, a été labellisé en interne. Il divise par deux notre consommation d’eau. Nous avons aussi équipé en Leds tous les lieux qui pouvaient l’être pour économiser l’énergie. Et nous installons des panneaux solaires sur les dépôts.

Comment déclinez-vous ces idées en interne ?

Récemment, nous avons déposé notre programme d’actions auprès de SBTI (Science-Based Target Initiative). Il s’agit de l’organisme international qui, depuis la Cop de 2015, valide les plans d’action des entreprises pour lutter contre le changement climatique. Notre plan d’action a été approuvé, attestant que la contribution de Keolis pour la lutte contre le changement climatique est en cohérence avec l’Accord de Paris de 2015 qui entend limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C.

Concrètement, quels sont vos engagements ?

Nous nous engageons à baisser nos émissions de gaz à effet de serre de 42 % d’ici à 2030. Si l’énergie représente une part importante de notre effort, nous agissons de façon plus large en faveur de l’environnement. Nous passons progressivement, sur un certain nombre de réseaux, du diesel à l’électrique, à l’hydrogène ou au gaz naturel, et nous agissons sur l’offre de transport pour limiter l’utilisation de la voiture individuelle. Nous favorisons également les mobilités douces (vélo, marche).

Vous voulez nous faire abandonner la voiture ?

Les transports représentent 30 % des émissions de gaz à effet de serre. Et sur ces 30 %, les véhicules individuels représentent 95 % (camions ou voitures particulières). Il faut être en mesure de proposer des solutions de transport collectif alternatives pour inciter les gens à abandonner leur véhicule, lorsque cela est possible.

Il faut une offre globale ?

En France, nous avons quarante millions de véhicules. Il faudrait parvenir à ce que dans les territoires les plus éloignés, le deuxième véhicule, qui reste encore aujourd’hui une nécessité dans beaucoup de foyers, puisse être remplacé par un accès aux transports collectifs. Pour cela, il faut proposer une offre de transport publique dense, fiable et sûre. Agir ainsi, c’est aussi redonner du pouvoir d’achat aux ménages.

Comment aller plus loin ?

De nombreuses collectivités françaises proposent maintenant du transport à la demande. Ce service peut concerner les jeunes qui sortent certains soirs et s’avère particulièrement adapté aux communes périphériques, excentrées. Il passe par des véhicules de plus petite taille, des outils digitaux de réservation, ainsi que des stratégies pour rassembler et rapprocher des personnes des lignes de transport public. On peut par exemple aller chercher des passagers sur des lignes virtuelles, en ne les activant que lorsque c’est nécessaire. Mais aussi prendre en charge des personnes pour leur permettre d’accéder à une ligne régulière. Nous sommes aujourd’hui le premier opérateur de services à la demande en France avec 75 réseaux. Cela représente près de 4 millions de voyages.

Quelle place accorder aux mobilités douces ?

Nous veillons à ce que ceux qui veulent utiliser leur vélo ou leur voiture bénéficient de parcs relais bien gérés à l’entrée des villes. Dans tous les appels d’offres auxquels nous avons répondu ces trois dernières années, il y avait une augmentation de la part du vélo, musculaire ou à assistance électrique. Le trajet moyen à vélo électrique est de 7 km, contre 2 km pour le vélo traditionnel. On élargit ainsi le périmètre de déplacement et nous gérons, à l’échelle nationale, près de 40 000 vélos.

Est-ce que la gratuité favorise les transports publics ?

Cette décision de la gratuité appartient aux collectivités locales. N’oublions pas cependant qu’il y a quelqu’un qui paye malgré tout. C’est le contribuable, soit le particulier soit les entreprises, et souvent un mélange des deux. Il faut être bien conscient de l’impact de cette décision. Se demander aussi si la collectivité pourra garantir un service de qualité sans réduire l’offre, si elle se prive des tarifs. L’offre arrive en première position dans les enquêtes que nous faisons avec l’UTPF (le syndicat de la profession), la sécurité vient ensuite. Le tarif arrive en troisième position et l’environnement en quatrième.

Votre regard sur la sécurité dans les transports publics ?

Nous y travaillons sans relâche. Nous réunissons des panels de femmes représentatifs de la population et nous faisons des marches exploratoires dans certains territoires. Nous faisons des trajets à certains moments de la journée pour identifier les points de fragilité (mal éclairés, sans possibilités d’appel) pour voir ce qu’il faudrait améliorer. Si une employée est prise à partie à 5 h du matin, vers quel lieu peut-elle se tourner ? Des associations ont été créées pour mettre en place des lieux tiers sécurisés. Nous avons aussi des médiateurs, des agents d’accueil et nous faisons beaucoup d’actions avec les forces de l’ordre. Nous constatons notamment que les agressions verbales ont augmenté. Nous avons en revanche un regret, c’est celui concernant les caméras des contrôleurs.

Quel est le problème avec les caméras des contrôleurs ?

Les contrôleurs avaient été équipés à titre expérimental de caméras et cette autorisation avait été prorogée jusqu’au 30 septembre 2024. Ce dispositif a prouvé son efficacité permettant souvent une désescalade lors des contrôles. Compte tenu du contexte politique en France, aucun nouveau texte n’a été adopté et les forces de sécurité ont été obligées de s’en séparer en attendant une nouvelle disposition législative.

Article Patrice Moyon, Journaliste à Ouest-France